Économie / mai 2017

Chômage en France
Quelles priorités pour
l’action publique ?

Le nouveau Président de la République s’est donné pour objectif que le taux de chômage de la France soit de 7 % en 2022. Le présent flash fait le point sur l’évolution du chômage au cours des dernières années en étudiant plus spécifiquement sa composante structurelle.

7 % de chômage en France : un objectif crédible ?

A 9,3 % au premier trimestre (T1) de 2017, le taux de chômage connaît une légère baisse depuis le pic du T3 2015 (10,1 %). Toutefois, ce taux avoisine les 10 % depuis 2013, soit la deuxième période la plus longue à ce niveau après 1993-1999. Depuis le milieu des années 80 et le passage à un régime marqué par un nombre élevé de chômeurs, le pays a connu trois brèves périodes où le taux de chômage a approché et, dans certains cas, atteint 7 % de la population active : au début des années 90, au début des années 2000 et enfin juste avant la crise économique et financière en 2007. Sur les trente dernières années, un taux de chômage à 7 % est donc plus l’exception que la règle. A population active constante, faire passer le taux de chômage de 9,3 % à 7 % suppose de réduire en 5 ans le nombre de demandeurs d’emploi au sens du BIT  [1]  de 660 000, soit une baisse significative. Pour retrouver une baisse d’un même ordre de grandeur, il faut remonter à la période 1997-2001, au cours de laquelle la croissance économique était de 3 % par an, ce qui avait permis un recul du nombre de demandeurs d’emploi de 713 000.

Hausse parallèle du chômage et du nombre d’emplois vacants : le paradoxe français

L’économie française connaît une situation paradoxale. En effet, outre les problématiques traditionnelles signalées par les entreprises (difficultés d’ajustement du temps de travail, des salaires, des effectifs), le marché du travail hexagonal se caractérise par la cohabitation entre, d’une part, un chômage massif et, d’autre part, des difficultés croissantes de recrutement pour les entreprises. Dans le cadre d’une enquête européenne récente (WDN, cf. flash éco du 12 mai), la Banque de France (BdF)  [2]  révèle qu’il s’agit là du premier motif de difficulté constaté par ces dernières entre 2010 et 2013. Une hausse parallèle du taux de

chômage et des difficultés de recrutement signifie que les caractéristiques des demandeurs d’emploi ne correspondent pas aux attentes des entreprises : d’un point de vue économique, cette combinaison suggère une hausse du taux de chômage structurel. La « courbe de Beveridge », qui représente la relation entre le chômage et les vacances d’emploi, se serait ainsi déplacée « vers la droite » (cf. illustration en annexe). Dans une étude récente  [3] , la BdF indique que « l’Espagne et la France apparaissent comme les pays les plus touchés par la hausse de l’inadéquation entre l’offre et la demande d’emploi (…). Cette hausse reflète principalement la forte baisse du taux d’emploi des individus les moins qualifiés, qui ont été les plus touchés par la hausse du chômage ». Pour améliorer le fonctionnement du marché du travail, la BdF propose 3 pistes : agir sur les compétences par la formation professionnelle, encourager la création d’emplois correspondant aux chômeurs non qualifiés et renforcer la mobilité géographique.

Quel est le taux de chômage structurel en France ?

Essentiel pour déterminer les choix de politique économique, le concept de taux de chômage structurel se heurte à une difficulté importante dans la mesure où il ne peut être mesuré et doit être estimé. Une approche couramment utilisée par les économistes est celle de « l’output gap » (OG, ou écart de production, cf. flash du 29/04/16) afin de répondre à la question suivante : vers quel niveau de chômage le rattrapage des effets de la crise économique permet-il de converger ? Pour ce faire, un simple modèle économétrique est construit à partir de la base de données de la Commission européenne. Il ressort de ce modèle un taux de chômage structurel estimé à 9,3 % : en effet, lorsque l’écart de production est entièrement résorbé (OG = 0), la composante conjoncturelle du chômage disparaît. Au-delà, une accélération de l’activité (OG > 0) fait baisser le chômage conjoncturel sans toutefois modifier son niveau structurel « à politique inchangée » (pas de réforme du marché du travail, de l’UNEDIC…). L’évolution du chômage de longue durée (i.e. dont la durée est supérieure à 1 an) offre une perspective complémentaire intéressante : entre le creux d’avant-crise en 2008 et la fin 2016, le chômage de longue durée a quasiment doublé en taux (passant de 2,4 % à 4,1 %) et en valeur absolue (de 681 000 à 1,2 million). Plus la durée du chômage est longue, plus la difficulté de retrouver un emploi est grande, y compris en phase de reprise.

 

Sujet central du débat public, le chômage de masse est un défi national qu’il faut affronter avec lucidité. Pour ce faire, le préalable est de lever rapidement un malentendu : hors contrats aidés et recrutement public (fortement contraints par la situation financière du pays), l’Etat n’a pas de prise directe sur son évolution, qui dépend de décisions microéconomiques prises dans un environnement de marché. Dans ce contexte, l’action publique pourrait se donner deux priorités : créer les conditions pour amplifier la reprise et agir sur la composante structurelle du chômage. La première est justifiée par la situation encore convalescente de l’économie française. Elle exige une politique économique lisible qui poursuive l’objectif de renforcement de la compétitivité (coût et hors coût) du pays. La seconde représente un chantier d’une ampleur considérable qui ne portera ses fruits que sur le moyen terme. Améliorer l’appariement sur le marché du travail suppose en effet d’agir à la fois sur la demande et l’offre de travail. Seule une approche intégrée associant l’ensemble des acteurs publics et privés permettra de répondre aux défis les plus urgents (informer, former, accompagner) en adaptant la réponse au plus près du terrain. 

Annexe : la courbe de Beveridge en France et dans la zone euro

Dans la littérature académique, la « courbe de Beveridge » représente la relation entre le taux de chômage (en abscisse) et les vacances d’emploi (en ordonnée)  [4] .

En théorie, cette relation est négative : lors d’une récession, la hausse du chômage s’accompagne d’une baisse des vacances d’emploi et réciproquement lorsque la conjoncture s’améliore.

D’un point de vue empirique, ceci a été observé en France et dans la zone euro entre 2008 et 2009.

Par la suite, la courbe s’est « déformée » : entre 2009 et 2011 (phase de reprise), les vacances d’emploi ont augmenté rapidement pour un taux de chômage constant ; à partir de 2011 (début de la 2e récession), les rôles se sont inversés.

Ces deux épisodes suggèrent une dégradation de la qualité de l’appariement entre les postes disponibles et les caractéristiques des demandeurs d’emploi.

Depuis 2013, les trajectoires de la France et de la zone euro diffèrent : alors que la courbe de Beveridge de la zone euro semble reprendre une forme habituelle (baisse du chômage, hausse des postes vacants), celle de la France est nettement moins lisible (stagnation du chômage, mouvements erratiques des postes vacants).

NB : les « vacances d’emploi » sont obtenues par approximation grâce à l’enquête trimestrielle de la Commission européenne. Une question adressée aux entreprises permet de connaître le rôle du facteur travail parmi ceux « limitant la production ».

[1] Personne en âge de travailler (15 ans ou plus) répondant à 3 conditions : être sans emploi, être disponible dans les 15 jours, avoir recherché activement un emploi dans le mois précédent.
[2]  « The behaviour of French Firms during the Crisis : Evidence from the WDN survey », Jadeau, Jousselin, Roux, Verdugo.
[3] «La courbe de Beveridge dans la zone euro depuis la crise : une hausse du chômage structurel depuis 2010 », Bulletin n° 198.
[4]  Pour une revue complète, cf. « The Beveridge Curve : A Survey », Elsby, Michaels, Ratner, Journal of Economic Literature, 2015