Fiscalité / mai 2017

CBCR Public
N’exposons pas l’industrie française !

Les entreprises françaises tirent la sonnette d’alarme sur les dangers à exposer leurs données commerciales au monde entier. La France était encore, en 2015, le premier pays de siège en  Europe des plus grandes entreprises multinationales  : cette place est déjà menacée alors qu’elle est notre atout et notre fierté. Pour cette raison, la France ne doit pas introduire de texte qui conduit à communiquer les données  de ses entreprises à leurs concurrents du monde entier. Comme le font l’Allemagne, la Suède, l’Espagne et la Belgique  s’opposer à ce que ce projet perdure au niveau européen. La lutte contre l’optimisation fiscale agressive est assurée par le CBCR échangé entre les administrations fiscales dans le cadre de BEPS. La publication de données similaires menace son existence même ainsi que la stratégie commerciale et industrielle des groupes français.

Le 15 novembre 2015, le G20 a adopté le plan « base erosion and profit shifting » (BEPS) dont une des actions prévoit l’introduction d’une obligation pour les grandes entreprises de communiquer à l’administration fiscale du pays de leur siège un grand nombre de données concernant leur localisation à travers le monde (notamment chiffre d’affaires, bénéfice avant impôt, impôt sur les bénéfices, nombre d’employés). Cette obligation – le « country by country reporting » (CBCR ou reporting pays par pays) – doit permettre aux administrations de vérifier la corrélation existant entre l’activité exercée dans un pays, le profit qui lui est attribué et l’impôt correspondant.

A ce jour, 39 Etats, dont la France, se sont engagés à transmettre ces données entre administrations fiscales en signant « l’accord multilatéral entre autorités compétentes portant sur l’échange des déclarations pays par pays1 ». Une des exigences prévue par cette convention internationale est la préservation de la confidentialité des données transmises entre administrations.

Le 12 avril dernier, la Commission européenne a publié une proposition de directive visant à imposer aux entreprises européennes une publication de données similaires. En France, le projet de loi relatif « à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique », dans sa version adoptée par la Commission des lois de l’Assemblée nationale, prévoit d’introduire une disposition identique.

Les entreprises françaises souhaitent attirer votre attention sur le fait que la publication de ces données serait dramatique pour leur compétitivité :

  • La publicité de ces données mettrait fin à la réciprocité de l’échange d’informations prévu par les travaux BEPS : non seulement les entreprises françaises et européennes seraient les seules à publier leurs données, mais les administrations des pays tiers ne transmettront pas les informations concernant leurs propres entreprises à l’administration française. Ce risque a été souligné par Pascal Saint Amans en charge des négociations internationales sur le sujet dans le cadre de l’OCDE : « il n’est pas question que ces informations soient rendues publiques, sinon le consensus sur le principe et le contenu du CBCR n’aurait pas été atteint ; cela est d’ailleurs clairement établi dans le rapport. On ne peut pas exclure que l’UE prenne une position différente dans le cadre de sa proposition de directive. Cependant, une publicité des informations au seul niveau européen serait susceptible de défavoriser les entreprises européennes par rapport à leurs concurrents américains ou asiatiques». Bob Stack, secrétaire adjoint au Trésor américain a par ailleurs confirmé que « les Etats-Unis ne partageraient pas le CBCR avec les administrations étrangères qui choisiraient de le rendre public».
  • Cette publicité unilatérale exposera les entreprises françaises – ou européennes – à leurs concurrents et à leurs clients professionnels en divulguant leur stratégie industrielle et commerciale au travers de la communication d’informations sensibles à ce jour non disponibles au public :
  • Les entreprises françaises seront des cibles plus faciles pour des acquéreurs potentiels : les acquéreurs hors Union européenne disposeront en effet d’informations déterminantes permettant d’affiner leur stratégie d’acquisition ou de prise de contrôle.
  • Les entreprises françaises perdront des marchés et/ou subiront des pressions à la baisse sur leurs marges, ce qui se traduira par une diminution de leurs investissements et aura un impact négatif sur l’emploi. Dans de nombreux pays, y compris au sein de l’Union européenne, les entreprises françaises ne disposent que d’une implantation ou parfois d’un seul client. Dans cette situation, la publication des données du CBCR revient à donner à leurs concurrents étrangers l’ensemble de leur stratégie commerciale et le résultat dégagé.

 Même dans l’hypothèse où l’entreprise aurait plusieurs implantations dans un même pays, l’évolution d’une année sur l’autre des données publiées mettra en évidence l’obtention d’un nouveau marché, les difficultés commerciales rencontrées ou au contraire les succès remportés.

  • Les entreprises françaises verront la définition de leur stratégie commerciale leur échapper : en effet, la stratégie commerciale d’une entreprise sur un même produit peut différer selon les pays ; dans un pays, le même produit sera, par exemple, considéré comme un produit haut de gamme, dans un autre, comme un produit de moyenne gamme. La publication des données CBCR mettra cette stratégie en lumière du fait de la communication du chiffre d’affaires et des profits réalisés pays par pays : cela conduira à des pressions à la baisse sur leur marge. La politique de prix des produits est au cœur de la stratégie commerciale de l’entreprise : sa divulgation s’avérera dramatique dans la plupart des secteurs industriels.
  • La publication des données CBCR présente aussi un risque majeur pour les finances publiques françaises dès lors qu’elle va mettre en lumière, dans la plupart des cas, une surreprésentation des profits et des salariés en faveur des entités françaises du groupe par comparaison avec le chiffre d’affaires correspondant aux ventes réalisées sur le seul territoire français : comment les pouvoirs publics français vont-ils pouvoir justifier auprès des pays tiers l’écart existant entre le chiffre d’affaires réalisé en France et le profit qui y est affecté par les entreprises françaises en comparaison de ces mêmes éléments dans les pays émergents ? (par exemple, le CBCR prévoit le nombre de salariés par pays sans préciser leur niveau de qualification).