1.Chiffre d’affaires, profitabilité, trésorerie… Des résultats en forte hausse
Compte tenu de leur rôle dans l’économie française (cf. flash éco du 17/11/17), la situation des grandes entreprises est une question d’intérêt général. Dans une étude récente [1] , la Banque de France (BdF) étudie un échantillon de 80 groupes non financiers cotés à Paris et appartenant à cinq secteurs d’activité (énergie-environnement, industrie, distribution-services, technologies-télécommunications, transports-hébergement-construction). Il en ressort une photographie très favorable, avec un chiffre d’affaires au plus haut depuis 5 ans, tiré par la croissance organique (+ 5,3 points sur une hausse globale de + 6,8 %). De ce fait, la profitabilité progresse nettement (+ 10 % /un an pour le résultat net), même si cette évolution d’ensemble masque des dynamiques divergentes entre la bonne santé de l’industrie et le repli de la distribution et des technologies-communications. La trésorerie s’inscrit, elle, à un niveau record (190Md€ à la fin du premier semestre 2017, soit près de + 50 % en 5 ans). En dépit d’une hausse de l’endettement (cf. partie 3), la BdF juge que « la structure financière des groupes reste solide » grâce à la progression des capitaux propres. Enfin, sur la question des rachats d’actions, elle calcule que, sur la période 2013-2016, « les groupes ont rendu à leurs actionnaires un peu plus d’un tiers des liquidités générées par l’activité ». Au cours de cette période, le ratio (rachats d’actions + dividendes) /flux de trésorerie aurait été stable.
2. Achats d’obligations privées par la BCE : les entreprises françaises aux premières loges
Lancé en juin 2016, le programme d’achat d’obligations d’entreprises (« Corporate sector purchase programme », CSPP) s’inscrit dans le cadre du « quantitative easing » initié par la BCE en mars 2015. L’objectif est de compléter l’action menée sur les titres souverains en agissant directement sur les taux obligataires du secteur privé (parmi les critères requis, une qualité « investissement », soit au minimum BBB – ou équivalent). Au 5 janvier 2018, la BCE avait racheté plus de 130Md€ d’actifs, en grande majorité sur le marché secondaire : les entreprises françaises ont été les principales bénéficiaires du CSPP, à hauteur de 29 %, devant les entreprises allemandes (25 %). La base de données de la BCE permet de connaître l’identité des entreprises bénéficiaires (SBF 120 et entreprises publiques en France) ainsi que l’échéance des titres et le niveau du coupon. Sur ce dernier point, on observe une concentration des taux en-dessous de 2,4 %, avec deux tiers de la distribution comprise sous ce seuil.
3. Endettement : un risque français à surveiller ?
L’endettement des entreprises françaises a fait l’objet de deux publications récentes par l’INSEE [2] et la BdF [3] . Pour l’INSEE, les sociétés non financières (SNF) françaises se caractérisent par une « dynamique singulière par rapport au reste de l’Europe », avec une hausse de 16 points de PIB du taux d’endettement entre 2009 et 2016, contre une stabilité dans l’ensemble de la zone euro. Deux explications sont avancées par l’Institut : d’une part, le fait que l’investissement a progressé en France, alors qu’il reculait ailleurs en Europe ; d’autre part, un comportement spécifique en matière de détention de liquidités. Ainsi, il apparaît que le ratio liquidités (montants détenus en caisse + avoirs en banque)/PIB a progressé de près de 12 points depuis 2008. D’un point de vue microéconomique, les entreprises qui se seraient endettées seraient également celles qui ont accumulé des liquidités : outre un maintien de l’investissement corporel et une hausse de l’investissement incorporel, ces entreprises auraient procédé à un « carry trade » (pratique consistant à s’endetter à taux bas pour acquérir des actifs présentant un meilleur rendement). Calculé net des liquidités et des actifs détenus, le taux d’endettement serait, de ce fait, relativement stable depuis la crise. L’INSEE appelle toutefois à la vigilance quant aux conséquences d’une remontée des taux et/ou à une baisse du prix des actifs, certaines sociétés ayant vu récemment une très forte hausse de leur endettement, passé au-delà d’une année de valeur ajoutée. Pour la BdF, qui s’intéresse à un champ plus restreint, la solvabilité des grands groupes français s’améliore depuis 2012 grâce à un renforcement des fonds propres résultant à la fois de meilleurs résultats et d’augmentations de capital. Toutefois, elle attire l’attention sur le fait que la capacité d’autofinancement tend à augmenter moins vite que l’endettement net, ce qui pèse sur la faculté des entreprises à assurer le remboursement de leur dette. Sur la nature de l’investissement, déterminante du point de vue des revenus futurs, la BdF note une hausse marquée des opérations de croissance externe en 2015 et 2016, d’où une progression de la part relative de l’investissement de croissance externe dans l’investissement total.
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Portée par un environnement macroéconomique plus porteur, l’activité des grands groupes a notamment bénéficié de relais de croissance sur le marché américain (17 % du chiffre d’affaires en moyenne pour les 80 groupes considérés, contre 58 % pour l’Europe et 25 % pour le « reste du monde »). Bien que le marché français ne représente qu’une fraction des résultats, l’orientation positive des principaux indicateurs est une bonne nouvelle pour l’économie nationale. S’agissant des risques, la question de l’endettement mérite une attention particulière alors que la remontée des taux se rapproche. C’est le sens du dernier rapport du Haut Conseil de Stabilité Financière, qui se dit « particulièrement vigilant sur la soutenabilité de cette trajectoire des dettes des SNF ». Depuis la mise en place des politiques monétaires non conventionnelles, les entreprises ont, à juste titre, tiré parti d’un environnement favorable pour accroître leur investissement, rembourser les encours résiduels par anticipation ou encore allonger la maturité de leur dette.