1 – Un défi interne : éviter la « middle-income trap » et relancer sa croissance interne
Après son entrée dans l’OMC en 2002, la Chine est devenue la seconde puissance économique mondiale en parité de pouvoir d’achat à partir de 2010. La Chine doit encore ce succès en partie à sa taille : en 2017 le PIB par habitant est de 14 948$ (PPA constant de 2010) à comparer à 38 960$ au sein de l’OCDE ou aux 53 219$ aux USA. Si le décollage a été spectaculaire, avec la sortie plus de 500 millions de personne de la pauvreté en 30 ans, une grande partie de la population de Chine ne dispose pas encore d’un revenu comparable à celui des pays développés.
Dans la première phase de son développement récent la Chine a bénéficié d’une main d’œuvre abondante et peu chère, pour s’intégrer dans la chaine de valeur ajoutée manufacturière mondiale comme assembleur et producteur de produits développés ailleurs et créer d’importants excédents commerciaux.
A partir de 2008, la contribution des échanges extérieurs au PIB devenant négative, les investissements prirent le relais. Cette nouvelle phase est marquée par un ralentissement de la croissance, revenue autour de 6,5% et l’accumulation de dettes, locale, nationale ou privée – atteignant plus de 230% du PIB en 2018.
On ne peut écarter le risque d’une « trappe à revenus intermédiaires », rencontrée avant par d’autres pays émergeants comme le Mexique ou de la Malaisie. Faute d’une montée en gamme, l’économie ne développe pas de leaders mondiaux ou de produits internationalement compétitifs ; la montée des salaires et la transition démographique ne permettent alors plus de bénéficier d’avantages-coûts. L’économie entre dans un état intermédiaire où une lente désindustrialisation, sans gains de productivité, stoppe progressivement la croissance. Le risque est, au mieux, de ralentir progressivement, au pire d’une crise financière – comme en Thaïlande en 1998.
En réponse, le plan Chine 2025 vise la montée en gamme – la Chine peut d’ailleurs s’inspirer de la Corée et de Taiwan qui, non sans difficulté, sous des régimes politiques différents, ont connu cette transition positive.
Le plan suit 5 principes : innovation – qualité – attention à l’environnement – optimisation organisationnelle – développement des talents. Il cible 10 secteurs prioritaires, avec des objectifs de part de marché et de leadership (cf. histogramme) : robotique – technologie de l’information – aviation et espace – équipements maritimes high-tech – transport ferroviaires – véhicules propres – équipements énergétiques – équipements agricoles – nouveau matériaux – pharmacie et médecine. [1]
La culture planificatrice de la politique chinoise permet d’envisager que ce plan soit suivi même si les cibles quantitatives sont très ambitieuses. De nombreuses statistiques (espace, aviation, électronique, intelligence artificielle, médecine, robotique …) illustrent déjà l’effort collectif effectivement suivie par l’Etat et les entreprises.
En amont, la Chine concentre aussi son effort sur la recherche. [2] Ainsi, le flux des chercheurs entrants est désormais positif et au 3ème rang mondial quand la DIBRD représente 2% du PIB en 2015 dont plus de 80% consacrés au développement expérimental.
Et ceci produit des résultats : la Chine est 3ème derrière les Etats-Unis et le Japon dans le classement des 2000 entreprises les plus actives en R&D ; les brevets chinois sur l’IA sont passés de 3% des brevets mondiaux à 12% ; et le pays est à l’origine de 398 000 publications scientifiques en 2015 dont 7% des 10% les plus citées.
2 – Un défi pour l’économie mondiale : la course technologique est engagée
La Chine, première région d’importation mondiale et deuxième région d’exportation de l’UE, concentre un habitant sur six. Elle détermine en partie la croissance mondiale. Une récession chinoise serait probablement aussi synonyme de crise financière mondiale : il est donc souhaitable que la croissance chinoise se rééquilibre en diminuant l’endettement, en trouvant de nouveaux ressorts de long terme et en développant son marché. [3]
Le plan 2025 positionne la Chine sur des secteurs où elle était absente – comme le Japon des années 70-80 – et lance une course technologique avec les pays avancés présents sur ces marchés. L’accent mis sur l’immatériel, qui capte une part majeure de la VA, et le gigantisme de la Chine amplifient ce défi pour les pays qui tirent directement leur compétitivité des secteurs visés par le plan. [4]
La Chine, en y changeant sa place, interpelle toutes les économies technologiquement avancées présentes dans le haut de la chaine de valeur mondiale.
Dans le cadre du libre-échange, répondre à ce défi passe, coté Chine, par une plus grande ouverture de l’économie chinoise et, du côté de ses partenaires, par un engagement dans la bataille sur les compétences, la recherche et l’innovation industrielle – bataille que mènent déjà les entreprises internationales.
L’ouverture du marché intérieur chinois et la demande technologique des consommateurs chinois, dont 42% sont déjà connectés au haut débit, serait une chance pour ceux qui sauront se positionner. Ceci peut théoriquement plus que compenser les pertes concurrentielles sur les marchés domestiques. La Chine, en cohérence avec les futurs avantages compétitifs qu’apporterait son plan, s’est montrée dans les derniers mois facialement plus favorable à l’ouverture, sans réellement s’ouvrir.
La position prise par les Etats-Unis dans les négociations commerciales témoigne aussi des interrogations que l’ambition chinoise soulève.
D’une part les modifications du marché du travail qu’un choc technologique mondialisé et accéléré entrainerait renforce la crainte des territoires en risque de désindustrialisation. La réponse protectionniste actuelle est probablement court-termiste ; elle n’empêchera pas le choc technologique, réduit les marchés et n’offre pas de perspective ; mais un accompagnement (formation, mobilité, innovation …) sera probablement nécessaire.
D’autre part, les potentielles atteintes à la propriété intellectuelle, les subventions et le régime des entreprises publiques inquiètent les Etats-Unis et l’Europe, qui sont intervenus pour pousser à des réformes dans le cadre de l’OMC et préciser un régime de concurrence plus favorable aux parties privées. Ces craintes sont en effet celles de nombreux groupes privés ou d’Etats, prêts à entrer en concurrence ou à s’allier avec des industriels chinois, mais freinés par les risques stratégiques que cela pourrait entraîner.
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Le nécessaire repositionnement de l’économie chinoise est un enjeu pour la croissance mondiale. Pour répondre à ce défi le plan 2025 esquisse une montée en gamme nécessaire mais lance aussi une compétition mondiale.
Celle-ci nécessite des règles internationales équitables et une stratégie industrielle et de recherche également soutenue dans les pays européens, qui devront faire la part de la compétition et de la coopération ; ce d’autant plus que les règles du jeu de marché ne sont pas encore les mêmes en Chine qu’en Europe ou aux Etats-Unis.
L’Europe peut d’autant moins ignorer ces transformations qu’il s’agit de la construction d’avantages stratégiques liés aux technologies de demain : celles-ci auront une incidence économique mais aussi sur la vie quotidienne – la maitrise technologique conditionnant potentiellement la maîtrise des usages, au-delà du seul transfert de richesse.