Économie / 18 octobre 2019

N°41- Les multinationales on-shore

L’OCDE a consacré un de ses récents « Policy Paper » à la mesure de l’importance des multinationales (MNE) à partir des bases de données qu’elle construit sur les chaines de valeur [1] . Cette publication, récemment explicitée par ses auteurs [2] , montre combien les MNE sont importantes localement et combien l’opposition entre acteurs globaux et locaux est inappropriée.

En résumé

La synthèse des auteurs présente l’effet de la présence des MNE sur le tissu local à partir d’une étude sur 59 pays et 34 secteurs de 2005 à 2016 et avance des conclusions sur 4 questions sous-jacentes :

Premièrement, les MNE sont une part essentielle de l’économie globale : les MNE domestiques (c’est-à-dire les entreprises domestiques ayant des filiales à l’étranger) et les filiales de MNE étrangères (entreprises détenues à au moins 50% par l’étranger) représentent 36% de la production, 32% du PIB, 64% des exportations, 40% des importations de produits intermédiaires. Elles représentent également environ un quart de l’emploi mondial.

Deuxièmement, les filiales étrangères sont plus insérées dans des chaines de valeur mondiales que les entreprises domestiques : elles exportent plus leur production (33% de leurs ventes contre 9%) ; elles consomment plus d’entrants intermédiaires (59% de leur production contre 49%) ; elles incorporent plus de valeur ajoutée étrangère (22% de leur VA contre 10%).

Troisièmement, les filiales étrangères sont en forte interaction avec les entreprises locales : elles sourcent plus des deux tiers de leurs biens intermédiaires dans l’économie « hôte » et plus de 50% de leur consommation domestique provient d’entreprises qui ne sont pas des MNE – majoritairement des ETI/SME. En outre elles sont aussi fournisseurs de l’économie locale : 29% de leur production est pour la consommation finale sur le marché domestique et 38% est utilisée dans la production locale d’autres entreprises.

Quatrièmement, les chaines de valeur varient aussi fortement selon les secteurs, incorporent différents types d’acteurs – MNE, non-MNE, consommateur final – et se placent différemment dans le cycle de production des entreprises locales– produits intermédiaires ou produit final.

Les auteurs concluent d’abord que les MNE ne sont majoritairement pas offshorisées comme beaucoup le craignent. Elles agissent au contraire comme lien entre l’économie internationale et domestique, en particulier les SME.

Ils en déduisent ensuite que l’opposition entre commerce et investissement, traités « en silo » dans certaines négociations internationales, n’a pas de sens et qu’il faudrait au contraire étendre la réflexion aux mouvements de main d’œuvre, à la propriété intellectuelle ou à la concurrence, conditions du développement des chaines de valeur.

Ils mentionnent enfin la difficulté à définir le lieu de la taxation des profits quand les MNE sont au sein de chaines complexes, mêlant commerce international, investissement et flux de propriété intellectuelle.

Commentaires

Comme le rappelle cette étude, les investissements directs étrangers font l’objet d’une véritable concurrence entre gouvernements d’accueil qui y voient un moyen de développer l’emploi, d’attirer de nouvelles technologies, de s’intégrer dans des chaines mondiales et plus généralement de promouvoir la croissance.

On peut ajouter que pour les MNE, les IDE sont un moyen de développement stratégique. Comme l’a montré un récent colloque de l’AFEP, ces investissements sont pour les grandes entreprises françaises des opérations de croissance essentielles qui permettent de développer leur production en donnant l’accès aux marchés étrangers que ce soit en termes d’approvisionnement ou de commercialisation de produits ou de services finaux ou intermédiaires.

L’étude de l’OCDE offre des éléments de mesure qui rompent avec la vision simpliste et caricaturale de l’offshorisation des chaines de valeurs. La vision réaliste qu’elle propose ne surprendra pas les investisseurs, en particulier industriels, pour lesquels il s’agit bien de s’insérer dans un tissu économique local et – c’est moins mentionné ici – régional à une échelle parfois un peu plus large (Union européenne ou zone euro, ASEAN, Chine et extrême orient, Afrique, Amérique du Nord…).

La difficulté pour nombre d’études économiques à mesurer ces flux a parfois conduit à ne retenir que les flux financiers correspondants à la mobilisation du capital nécessaire à l’investissement. En lisant systématiquement dans la balance des paiements la seule contrepartie directe du financement des IDE, ces statistiques surpondèrent la place des centres financiers comme le Luxembourg, les Pays-Bas ou le Royaume-Uni en Europe, mais aussi, par exemple, Singapour ou Hong-Kong en Asie.

Cette lecture, tournée vers les passifs, conduit à oublier que le financement est une condition nécessaire de l’investissement et que la baisse des coûts de financement conduit à utiliser de tels centres mais que l’opération finale, la constitution d’actifs, est la raison de l’opération.

Les éléments de cette étude de l’OCDE – et de la base de données associée – montrent bien l’importance du développement de l’économie réelle par les IDE, en considérant le marché qui s’ouvre par l’intégration dans une chaine de production à la fois locale et globale.

Ces ordres de grandeurs en matière de production, de valeur ajoutée, d’exportation et d’importation, rappellent aussi indirectement que pour que les IDE bénéficient à l’économie locale, il faut que leur insertion puisse avoir lieu. Pour cela un des chantiers majeurs de la politique économique est de fournir des standards de droit et de régulation, en matière de protection intellectuelle, d’accès aux marchés – fourniture d’intrants ou débouchés commerciaux – ou de concurrence, suffisants pour garantir qu’au-delà de l’implantation, les investissements permettent de produire dans de bonnes conditions.

 

 

Publication ne constituant pas une prise de position ou un engagement.  

Contact :  economie@afep.com

[1] Multinational Enterprises in Domestic Value Chains – OECD science, technology and industry policy papers – March 2019 n°63.
[2] Multinational Enterprises in the Global Economy: heavily discussed, hardly measured – K. De Backer, S. Miroudot, D. Rigo –25 September 2019