Économie / 04 novembre 2019

N°42 – La nouvelle mutation territoriale

L’Insee publie une cartographie détaillée de l’emploi et de son évolution en France de 2006 à 2016. Alors que l’importance de certains centres de production s’affirme, de plus en plus de ménages choisissent un cadre de vie différent de leur lieu de travail ; en retour ces évolutions ouvrent de nouvelles questions sur l’aménagement du territoire et le rôle de certaines politiques publiques calquées sur des découpages administratifs qui s’éloignent progressivement de la réalité économique.

En résumé 

Selon l’Insee, en10 ans l’emploi s’est plus concentré territorialement [1] . 9 grandes agglomérations, cumulées, regroupent en 2016 29% des emplois totaux en France, soit 2% de plus qu’en 2006 : Paris, Toulouse, Lyon, Nantes, Bordeaux, Montpellier, Marseille, Rennes et Lille.

Dans ces grandes villes, l’augmentation moyenne de l’emploi est de +0,4% par an – contre une stagnation dans les autres centres urbains.

Le Grand Paris à lui seul regroupe 14,9% de l’emploi total (+0,3pt en 10 ans), soit un nombre comparable aux 9 autres premières agglomérations (14,6%, +0,7pt). L’ensemble formé des communes au-delà des 20 premières voit sa part décroître dans l’emploi total.

En 2016, cette évolution ne correspond pas à celle de la carte de l’habitat et des choix résidentiels de ceux qui travaillent, puisque 1 actif sur 3 travaille aujourd’hui hors de son intercommunalité de résidence. Le nombre de « naveteurs », selon le terme de l’Insee aurait ainsi progressé en moyenne de +1,2% par an.

Selon l’analyse de l’Insee c’est la modification de l’implantation de la « sphère productive », celle qui produit des biens et services pour l’ensemble du marché qui explique cette évolution ; la « sphère présentielle », celle qui produit pour les besoins locaux, étant stable. En d’autres termes les habitants ont (statistiquement) peu bougé quand les emplois se sont déplacés.

Les résultats montrent en outre un effet que l’on pourrait grossièrement qualifier de « gravitaire » : plus la « commune » est peuplée plus cet effet s’accroît.

Commentaires

Ces résultats, éclairent en profondeur les problématiques de géographie économique et du marché du travail. A ce titre, au-delà des données résumées, l’étude de l’Insee sera sans doute à réutiliser dans d’autres contextes d’analyse.

A grands traits, du point de vue de l’analyse du marché du travail, cette carte de France porte d’abord l’idée d’une perte d’emploi dans les agglomérations de taille intermédiaire et les campagnes et une concentration dans les (très) grandes villes. Ceci est-il une mutation irréversible et le produit d’une mutation économique devant se prolonger ?

Cette tension n’est pas nouvelle et d’autres décennies (1955-1965 par exemple) ont connu des périodes de mutations identiques et tout aussi complexes – les « Trente glorieuses » de J. Fourastié, livre assez pessimiste, dressait, au-delà d’une caractérisation de la croissance, l’inventaire imagé de la mutation d’un village vers la ville…

Economiquement, le poids dominant des grandes métropoles et son caractère auto renforçant, peut trouver comme dans les années soixante des explications liées aux transformations sectorielles de l’économie.

Au cours des 30 glorieuses, la mutation d’une économie en partie agricole vers une économie industrielle avait accéléré le regroupement des ouvriers à proximité des sites de production. Aujourd’hui avec une part du tertiaire qui augmente en continu dans l’économie, et l’accélération de la mutation technologique qui s’engage autour des services, une nouvelle spécialisation géographique des tâches est possible.

De fait, le tertiaire « informationnel » trouve dans les centres urbains des avantages naturels.  On peut d’ailleurs se rappeler que les villes se sont en partie construite autour des marchés, c’est à dire du commerce – un des secteurs importants des services.

La mutation technologique en cours peut tout à fait renforcer cette importance des villes : les connexions y sont plus rapides, la spécialisation plus facile en raison de la variété des intervenants et la proximité facilite le transport et la logistique – autres secteurs des services.

L’Insee montre aussi que le rôle accru des grandes villes ne se traduit pas par une concentration similaire de l’habitat : l’augmentation des « naveteurs », et de la distance entre lieu de travail et d’habitation, montre que la localisation simultanée des résidences et du travail ne va pas de soi.

On peut y voir une autre facette du développement actuel : les progrès des transports et des communications ont aussi aboli une partie des contraintes des distances et ouvert la possibilité d’une séparation des lieux de résidences et de travail.

On peut y voir aussi des sources de tension. D’abord, concernant la possibilité pour les personnes d’intégrer les endroits où se développe le marché du travail, avec une pression sur les prix de l’immobilier.

Ensuite sur les transports – dans la mesure où les moyens de transports deviennent déterminants pour concilier vie professionnelle et vie personnelle leur souplesse (coûts et liberté de choix) et leur confort (sécurité, ponctualité) deviennent déterminants.

Enfin sur les infrastructures locales : les lieux de vie différents des lieux de travails conduisent à poser la question de l’aménagement des services – comment faire pour que les services utiles au quotidien ne soient ni tournés vers les seuls usagers, ni vers les seuls habitants (et en aucun cas vers aucun des deux) ?

Derrières ces questions, se dessinent des interrogations plus générales autour des les politiques publiques qui doivent de plus en plus ternir compte de cette situation de mobilité accrue et renouveler l’offre de service locale en faisant attention à des usagers pouvant être alternativement résidents ou employés des zones concernés.

 

Publication ne constituant pas une prise de position ou un engagement.  

Contact :  economie@afep.com

[1] « Les emplois se concentrent très progressivement sur le territoire, les déplacements domicile-travail augmentent » Robert Reynard, Vincent Vallès, Insee Première n°1771, 05/09/2019.