En résumé :
Le groupe de travail sur les stablecoins, initié par le G7, a rendu ses conclusions [2] . Les ministères du Trésor et les banques centrales missionnées constatent d’abord les transformations techniques importantes qui touchent les services et produits financiers – et en particulier les nouveautés mises en œuvre en matière de paiement, via des plateformes ou les interfaces digitales.
Pour autant, le groupe du G7 relève deux faiblesses importantes du système financier actuel : il reste incomplet, avec 1,7 milliard de personnes non bancarisées ou mal desservies par les services financiers et les transactions transfrontalières restent relativement complexes.
Les cryptoactifs jusqu’ici mis en place ont pu chercher à résoudre ces difficultés mais la volatilité de ces produits, et les risques associés à leurs usages pour les particuliers en recherche de moyens de paiement sûrs, sont apparus comme leurs principales limites.
Les stablecoins cherchent précisément à limiter cette volatilité en s’adossant à un panier d’actifs, potentiellement de monnaies dans le cas emblématique du projet « Libra » de Facebook.
Le rapport liste l’ensemble des risques qui resteraient associés à la mise en place de telles « monnaies » : statut légal encore incertain ; gouvernance non garantie ; potentiel d’activités illégales ; sécurité, efficience et intégrité des systèmes de paiement difficiles à établir ; risques sur la cybersécurité et la résilience opérationnelle ; risque d’intégrité du marché ; garantie des données privées (protection et portabilité) à fournir ; protection du consommateur et de l’investisseur en risque potentiel; respect des règles fiscales encore très incertain.
A ces risques déjà considérables, s’ajoute encore une autre catégorie, liée au scénario d’un stablecoin devenant effectivement un actif « global », découlant des effets « macroéconomiques » d’un stablecoin de référence. Dans ce cas, la politique monétaire, la stabilité financière, le système monétaire international, la concurrence entre banques seraient potentiellement en danger.
Les rapporteurs considèrent qu’aucun projet de stablecoin global ne devrait être mis en place sans que les défis légaux, la supervision et les risques listés ci-dessus, aient trouvé de réponse.
Même dans ce cas, le groupe de travail note qu’un tel instrument financier devrait pouvoir aussi répondre à d’autres demandes de régulation, plus spécifiques, ou répondre à des objectifs de politique publique plus larges.
Cette prudence est notamment justifiée par une potentielle base importante de clients préétablis, disposant de moyens techniques déjà adaptés, et qui mènerait à une diffusion rapide d’un nouveau projet. Les effets négatifs d’un projet global sont considérés comme pouvant être potentiellement systémiques, internationaux et renvoyant à des risques sur le système monétaire mondial.
Dans ces conditions une base légale dans chacune des juridictions concernées est jugée comme un prérequis indispensable. Ceci à la fois pour protéger les consommateurs mais aussi pour des raisons de stabilité générale – point sur lequel il est nécessaire que la preuve de la stabilité soit apportée ex ante.
Le rapport encourage les travaux de coordination déjà lancés par plusieurs autorités publiques ou non gouvernementales les plus à même d’apporter des réponses cohérentes et coordonnées.
L’idée est de soutenir des régulations fonctionnelles, technologiquement neutres – les plus à même d’englober les stablecoins dans un ensemble afin notamment de limiter les arbitrages réglementaires qui résulteraient de lois contradictoires sur différents territoires.
Le groupe adresse aussi un appel au secteur public qui doit soutenir l’inclusion et encourager des systèmes de paiement potentiellement adaptés, utilisant les nouvelles technologies et pour produire une roadmap pour ces nouvelles technologies.
Commentaires :
L’idée d’utiliser le smartphone comme substitut ou substrat d’un compte bancaire dématérialisé et pour permettre des transferts internationaux électroniques individuels et instantanés n’est pas nouvelle – et peut être pas si différente des transmissions utilisées dans les moyens de paiement réservés aux opérateurs des marchés financiers. Cette idée prend une résonnance particulière avec le projet « Libra » de Facebook, prototype du stablecoin.
Selon ce rapport, on compte aujourd’hui 1,7 Milliard de personnes sans compte en banque dont 1 milliard ont accès à un smartphone. En outre, internet est fondamentalement organisé comme un réseau mondial –susceptible de contourner les frontières et les contrôles.
La croissance de l’économie mondiale est allée de pair avec le développement des moyens de paiement, des prêts internationaux ou nationaux et des garanties associées – moyens utilisés tant par les marins de Méditerranée antique que par les marchands vénitiens ou les centres financiers internationaux modernes.
Pour autant l’innovation financière et particulièrement monétaire n’a pas toujours rimé avec stabilité ou sécurité. Les déstabilisations monétaires sont historiquement des chocs systémiques. La recherche de la stabilité, opérationnelle ou économique, des moyens de paiement est une quête perpétuelle : la crise de 2008 n’en est que le dernier avatar. L’innovation financière doit donc être prudemment évaluée, le développement progressif de la régulation s’explique notamment par ce besoin d’encadrement ex ante.
Ce n’est pas un hasard si le système monétaire mondial repose aujourd’hui sur les banques centrales dont les trois caractéristiques (modernes) principales sont leur monopole, leur indépendance et leur mandat visant à la stabilité de la valeur de la monnaie (ni déflation, ni inflation ; sur ces deux objectifs, inutile de dire que le débat et les choix opérationnels sont vastes).
Le G7 se rappelle en réalité de l’Histoire : la monnaie est un objet public parce qu’elle est systémique, que la perte d’indépendance de la gouvernance pourrait mener à des pouvoirs exorbitants et que le contrôle de la valeur d’une monnaie nécessite de nombreuses précautions. Pour le dire autrement, les externalités de la monnaie sont si larges que son contrôle est nécessaire et une supervision attentive du système financier indispensable.
Pour autant, le rapport le mentionne, peut-être avec un peu moins de force, l’innovation dans ce domaine est aussi une nécessité. L’économie réelle en a encore besoin : les individus exclus des systèmes traditionnels de paiement ou de crédit, notamment dans les économies émergentes, les transactions internationales rendues difficiles par des systèmes dont les interfaces sont réservées à des spécialistes, les risques réels ou les limites associés aux systèmes actuels – qui connaissent aussi leurs défauts, ce que mentionne moins directement le rapport – sont autant de réservoirs de croissance potentiels quand des solutions nouvelles sont apportées.
Dans ces conditions, la réponse conservatoire ne peut pas être une réponse définitive. Comme en matière de télécommunication ou de transports, la demande est là ; la sécurité, au sens large, doit être un objectif déterminant ; le maintien de barrières à l’entrée ne peut en être un – le développement conjoint de l’innovation publique et privée est nécessaire au risque de voir une partie importante de la population contester un jour les règles établies.
Publication ne constituant pas une prise de position ou un engagement.