1. Le découpage du territoire par les statisticiens : une vue d’ensemble
Afin d’évaluer l’influence des villes sur le reste du territoire, l’INSEE a procédé en 2010 à un « zonage en aires urbaines » du pays [1] . Basé sur les données relatives à l’emploi et aux déplacements entre le domicile et le lieu de travail, la statistique publique permet de regrouper les près de 37 000 communes françaises en quatre types d’espaces : espace des grandes aires urbaines, espace des autres aires, autres communes « multipolarisées » et communes isolées hors influence des pôles. Selon l’INSEE, une « unité urbaine est une commune (…) présentant une zone de bâti continu (…) qui compte au moins 2 000 habitants. Tout commune n’appartenant pas à une unité urbaine est considérée comme rurale ». Une aire est composée d’un pôle (unité urbaine d’au moins 1 500 emplois) et d’une couronne (commune dont au moins 40 % de la population résidente travaille dans le pôle). Trois types d’aires sont distinguées selon la taille des pôles (grands : au moins 10 000 emplois ; moyens : de 5 000 à moins de 10 000 ; petits : de 1 500 à moins de 5 000). Les communes situées à l’extérieur des aires sont dites « multipolarisées » : au moins 40 % des actifs occupés résidents travaillent dans différentes aires. Au total, l’INSEE estime que 85 % de la population française réside dans les près de 800 aires qui structurent le territoire national. En ajoutant les 11 000 communes « multipolarisées », ce ratio passe à 95 %, soit plus de 60 millions d’individus. Au sein des aires urbaines, l’INSEE met en évidence une accentuation de la « périurbanisation », avec une croissance plus marquée des couronnes par rapport à celle des grands pôles [2] . Un double mouvement serait à l’œuvre avec, d’une part, une concentration des emplois dans les grands pôles urbains et, d’autre part, le départ du centre-ville de nombreux ménages pour se loger. L’influence des grandes aires urbaines est confirmée par une étude récente [3] , où l’INSEE estime que, sur les 9,4 millions d’habitants gagnés par le pays entre 1982 et 2011, la moitié provient des plus grandes urbanisations (20 % pour l’aire parisienne, 30 % pour les 13 plus grandes aires de province). Enfin, « l’exode rural » serait achevé depuis les années 70 dans la mesure où « les communes rurales, dans leur ensemble, ne perdent pas de population depuis trente ans »
2. Chômage et pauvreté à l’échelle territoriale : des différences sensibles
A partir de ce découpage, la statistique publique fournit des résultats à un niveau relativement désagrégé sur des indicateurs économiques couramment utilisés. On s’intéresse ici au taux de chômage et au taux de pauvreté (proportion d’individus dont le niveau de vie est inférieur au seuil de 60 % du niveau de vie médian). Plusieurs faits saillants apparaissent : en ce qui concerne les personnes sans emploi, la dispersion est importante puisque le taux de chômage varie du simple au double. Ainsi, le taux de chômage des unités urbaines (UU) comprises entre 20 000 et 200 000 habitants (par exemple, les unités urbaines de Chaumont, Sedan, Charleville-Mézières, Dunkerque…) s’élève à près de 14 %, contre moins de 7 % dans les communes rurales. En faisant abstraction de ces dernières, caractérisées par une part supérieure à la moyenne des non-salariés, l’écart avec les autres aires urbaines reste important. S’agissant de la pauvreté, sur les près de 9 millions de pauvres que comptait la France en 2014, la moitié résidait dans une UU de plus de 20 000 habitants (hors agglomération parisienne) : 20 % dans les UU de 20 000 à moins de 200 000 habitants et 30 % dans les UU de plus de 200 000 habitants. L’autre moitié se trouvait dans une commune rurale (18 %), en région parisienne (16 %) et dans une UU de moins de 20 000 habitants. Il en résulte une distribution des taux de pauvreté hétérogène selon le territoire considéré, allant de 11 % en commune rurale à 17 % dans les UU provinciales de 20 000 habitants et plus.
La corrélation entre chômage et pauvreté est forte, dessinant des familles de territoires assez distinctes les unes des autres. D’un côté, les communes rurales allient chômage et pauvreté faibles ; de l’autre, les UU de province de plus de 20 000 habitants sont en nette difficulté, avec des niveaux significativement supérieurs au reste du pays. Entre ces deux catégories, l’agglomération parisienne reflète quasiment à l’identique la moyenne nationale pour chaque indicateur alors que les petites villes s’en sortent un peu mieux que celle-ci.
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Rarement au centre du débat public, la question des dynamiques territoriales a été remise à l’ordre du jour par la création de la « Conférence nationale des territoires » (CNT), dont la première édition s’est tenue le 17 juillet dernier. Présidée par le Premier ministre, cette instance se réunira tous les 6 mois afin d’établir un « pacte de confiance » entre l’Etat et les collectivités territoriales. Dans un contexte où les sujets de tension entre les acteurs publics ne manquent pas (dépenses des collectivités, financement des dispositifs de solidarité, réforme de la taxe d’habitation…), la CNT devrait élargir son champ à d’autres acteurs économiques (entreprises, société civile). En effet, les défis posés par les disparités territoriales ne pourront être relevés par la seule action publique. D’ores et déjà, il apparaît que l’extension de l’urbain (et du « péri-urbain ») s’accompagne de difficultés réelles sur le plan du chômage et de la pauvreté, deux indicateurs sensibles et très concrets pour les citoyens.