1. Emploi et activité économique : quelle relation ?
Après un repli de 5,4 millions d’emplois entre le deuxième trimestre (T2) 2008 et le T2 2013, la zone euro aurait enregistré une croissance d’environ 4,5 millions d’emplois depuis la mi-2013. Cette date correspond à la fin du « double-dip » européen, caractérisé par la Grande récession de 2008-2009, une période d’expansion entre fin 2009 et début 2011 puis un retour en récession jusqu’en 2013. Dans un article récent [1] , la BCE actualise l’étude du lien entre la croissance de l’emploi et la croissance du PIB dans la zone euro. Le point de départ du raisonnement est la progression plus forte que prévu de l’emploi depuis la mi-2013 et le fait que les deux variables seraient à nouveau « synchronisées » après la cassure introduite par la Grande récession. En effet, le PIB s’était, dans un premier temps, nettement plus contracté que le volume d’emploi avant de rebondir tandis que ce dernier restait atone. D’un point de vue microéconomique, de nombreuses entreprises auraient maintenu leurs effectifs au cours de la crise (au besoin en réduisant le volume horaire), contribuant à lisser les tendances à la hausse et à la baisse. La différence d’évolution entre le volume d’emploi et le nombre total d’heures travaillées entre 2008 et 2013 confirme ceci, avec une baisse bien plus marquée pour les secondes par rapport au premier. L’expérience de la zone euro contraste singulièrement avec celle des Etats-Unis, où l’élasticité de l’emploi par rapport au PIB s’est avérée beaucoup plus forte au cœur de la crise (T2 2008-T2 2009) : les entreprises nord-américaines auraient ainsi détruit plus d’emplois lors du choc récessif, et, symétriquement, en auraient créé nettement plus depuis le rebond. Ainsi, l’économie des Etats-Unis aurait créé 13,7 millions d’emplois depuis le creux du T1 2010, soit un volume d’emploi supérieur de 5,2 millions à son niveau d’avant-crise.
2. Plus d’emplois, mais de quel nature ?
L’évolution globale de l’emploi doit être analysée de façon plus détaillée pour mieux comprendre la dynamique à l’œuvre. Par type de contrat, tout d’abord : alors que le profil global de l’emploi est dicté par l’évolution des emplois à temps plein, il est intéressant de constater que les emplois à temps partiel ont contribué positivement de façon continue depuis le T1 2007.
Il en résulte une hausse significative de la part des emplois à temps partiel (21,3 % au T3 2016, soit plus de deux points au-dessus du T1 2008). Cette évolution aurait eu un impact sur la durée moyenne du travail (- 1 heure depuis 2008) avec, en outre, une baisse de la durée effectuée par les salariés à temps plein [2] . Contrairement à l’intuition selon laquelle l’augmentation de la durée moyenne du travail serait le premier levier utilisé en phase de reprise, la hausse observée du nombre d’heures travaillées depuis 2013 ne refléterait que la progression de l’emploi, la durée moyenne étant, elle, stable. D’après l’étude de la BCE, un effet de composition commun permettrait d’expliquer la dynamique et la structure de l’emploi en zone euro depuis la crise : la croissance du secteur des services. En effet, ce secteur est à la fois plus « intensif » en emploi que les autres et se caractérise par une plus grande prévalence des emplois à temps partiel. Ainsi, le taux d’emplois à temps partiel est nettement supérieur à 20 % dans les services (marchands et non marchands), tandis qu’il est d’environ 9 % dans l’industrie et la construction. Par ailleurs, la croissance de l’emploi aurait été concentrée dans les secteurs à plus faible progression salariale (activités administratives, commerce, transports, hôtellerie-restauration).
3. Plus d’emplois, mais où (et pourquoi ?) ?
Si la dimension globale de la zone euro est fondamentale du point de vue de la politique monétaire, la dimension nationale est également importante pour la conduite de la politique économique. En effet, deux pays expliqueraient plus de la moitié de la hausse de l’emploi constatée depuis la mi-2013 : l’Allemagne (31 %) et l’Espagne (25 %). Aux trajectoires divergentes lors de la Grande récession, au cours de laquelle l’économie allemande s’est montrée particulièrement résiliente alors que l’activité espagnole s’effondrait avec l’éclatement de la bulle immobilière, ces deux pays font figure de locomotives depuis trois ans. En revanche, la France et l’Italie se seraient montrées nettement moins dynamiques (respectivement 13 % et 7 %). Enfin, les 15 autres pays expliqueraient, eux, le quart restant, avec des hausses significatives en Irlande et au Portugal. Pour la BCE, les progressions différenciées d’activité et d’emploi entre les pays seraient liées au degré de mise en œuvre de réformes du marché du travail : à cet égard, l’Allemagne et l’Espagne sont deux Etats où d’importantes réformes ont eu lieu depuis le début du siècle (en amont de la crise outre-Rhin, en 2010-2012 en Espagne).
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Plus de trois ans après la fin de la seconde récession, l’emploi de la zone euro est en passe de retrouver son niveau d’avant-crise grâce à un environnement macroéconomique plus favorable. Toutefois, au-delà des facteurs conjoncturels, des mouvements structurels seraient à l’œuvre, parmi lesquels une progression du temps partiel et une stagnation de la durée moyenne travaillée. En outre, plusieurs indices laissent penser que les réformes conduites dans certains Etats membres auraient contribué au dynamisme observé. Souhaitable, la poursuite de la reprise de l’emploi ne sera durable que si les facteurs structurels jouent pleinement leur rôle dans un contexte toujours marqué par un chômage de masse dans de nombreux pays et la présence de sureffectifs au sein des entreprises (100 000 en France selon l’OFCE).