Économie / juin 2016

Mobilité des étudiants
et attractivité du territoire

Dans une économie de plus en plus concurrentielle, la capacité d’attirer les talents est l’un des leviers de la croissance économique. Si la mondialisation des compétences est d’abord un enjeu pour les individus, elle est également majeure pour les entreprises et les Etats. Bénéficiant d’une tradition d’accueil et d’un certain prestige académique, la France dispose d’arguments dans la compétition internationale. Toutefois, l’intensification de la concurrence exige une stratégie globale afin d’assurer aux talents (français et étrangers) un cadre d’étude et de vie comparable aux meilleurs standards internationaux. Ceci suppose d’agir sur plusieurs politiques avec, à chaque fois, des questions sensibles (financement de l’enseignement supérieur, mobilité professionnelle, potentiel de recherche, fiscalité personnelle…).

La mobilité internationale des étudiants : quelques données de cadrage

Selon l’OCDE, plus de 4 millions d’étudiants ont suivi une formation tertiaire dans un pays dont ils
n’étaient pas ressortissants en 2013. Plus d’un étudiant sur deux (53 %) était issu d’un pays asiatique, la Chine et l’Inde étant les deux principaux pays d’origine. Si le suivi statistique du phénomène est relativement complexe, l’OCDE estime que le nombre d’étudiants en formation dans l’enseignement
supérieur à l’étranger aurait augmenté de 50 % entre 2005 et 2012. La part des étudiants étrangers croît
avec le niveau de diplôme : ainsi, dans les pays de l’OCDE, un quart des étudiants en doctorat sont en
mobilité internationale (14 % au niveau master), contre une moyenne tous diplômes confondus à 9 %.
Ceci peut s’expliquer à la fois par des questions de disponibilité de formation au fur et à mesure que l’on
avance dans ses études et par la perspective d’un « rendement » du diplôme supérieur lorsque l’on
atteint les niveaux les plus élevés. Les étudiants réalisant les plus longues études sont également les plus susceptibles d’effectuer une part de leur scolarité à l’étranger. S’agissant des disciplines suivies, environ
un tiers des étudiants étaient inscrits dans un cursus lié aux sciences sociales, au commerce et au droit,
contre 14 % pour l’ingénierie, 13 % pour la santé, 13 % pour les lettres et les arts et 11 % pour les
sciences. Enfin, le classement des pays d’accueil fait apparaître une relative concentration dans la
mesure où le « top 10 » représente 61 % du total. Derrière les Etats-Unis, très nettement en tête avec
près de 2 étudiants sur 10, le Royaume-Uni devance l’Australie et la France. En valeur absolue, cette
dernière accueillait environ 300 000 étudiants en mobilité en 2013, soit 12 % de l’effectif global.

Frais de scolarité : une barrière à la mobilité ?

A l’heure de choisir une formation à l’étranger, un étudiant est confronté à différents paramètres :
langue d’enseignement, qualité de la formation dispensée, reconnaissance internationale des diplômes, politique migratoire du pays d’accueil, frais de scolarité, coût de la vie… Si le premier paramètre joue sans doute un rôle déterminant dans l’attractivité des pays de langue anglaise, il ne peut, à lui seul,
expliquer leur succès. En effet, les principaux leaders en la matière (Etats-Unis et Royaume-Uni) ont en
commun un facteur a priori défavorable aux étudiants étrangers : des frais de scolarité plus élevés pour
ces derniers par rapport à ceux appliqués aux ressortissants nationaux. Loin d’être exceptionnelle, cette pratique est assez largement répandue dans les pays de l’OCDE, y compris au sein de l’Union
européenne (où la distinction s’opère toutefois non pas sur des critères strictement nationaux mais en
fonction de l’appartenance du pays de l’étudiant à un autre pays de l’UE).

Comment expliquer ce paradoxe ? Dans une étude réalisée en 2013 1 pour le compte du CEPII (Centre
d’études prospectives et d’informations internationales), trois chercheurs ont modélisé les déterminants de la mobilité estudiantine internationale. Il en ressort que les facteurs les plus importants sont les coûts liés aux migrations (transport, vie quotidienne…), la présence d’un « réseau » sur place (i.e. l’existence d’une communauté du pays d’origine installée dans le pays d’accueil) et les rémunérations perçues à la sortie des études. En revanche, les droits d’inscription sont non significatifs d’un point de vue statistique et, lorsqu’ils le sont dans certaines variantes du modèle, le résultat est contre-intuitif : ainsi, des droits plus élevés seraient plus attractifs pour les étudiants (et non pas moins). Ceci tiendrait à un effet de causalité « inversé » (i.e. c’est parce que les pays sont attractifs qu’ils peuvent fixer des droits d’inscription élevés) et à l’effet de signal que peuvent exercer des droits élevés auprès des étudiants
(selon cette thèse, des frais élevés refléteraient une haute qualité d’enseignement). D’une façon plus
générale, l’attribution de bourses/aides financières par les différents acteurs publics et privés peuvent
réduire les droits d’inscription, avec là aussi un mécanisme de causalité inversé (c’est parce qu’un
étudiant est admis dans une université prestigieuse qu’il peut obtenir plus facilement un financement).

 

 

France : quelle stratégie développer vis-à-vis des « talents » ?

Le développement de la mobilité estudiantine internationale est un enjeu majeur pour les individus mais aussi pour les pays. Quatrième terre d’accueil au niveau mondial, la France est partie prenante d’un
phénomène où la concurrence s’intensifie. Dans une étude récente du Conseil d’analyse économique 2 ,
Cecilia Garcia-Peñalosa et Etienne Wasmer rappellent que le pays présente « la triple caractéristique d’une gratuité des études primaires et secondaires, d’une quasi-gratuité dans une grande partie des établissements d’enseignement supérieur et d’un système de santé public à couverture large », ce qui le rend « vulnérable à la mobilité croissante des travailleurs qualifiés ». D’un point de vue budgétaire, ce système tend en effet à favoriser la présence sur le territoire national des jeunes et des plus de 55 ans
(dont la contribution aux finances publiques est en moyenne négative), la tranche 25-55 ans (dont la
contribution est, elle, positive) étant la plus concernée par la mobilité. Visant surtout à stimuler les
entrées (et/ou les retours) et non pas tant à limiter les sorties (qui peuvent aussi avoir un intérêt pour le
pays), l’objectif est donc double : attirer les meilleurs étudiants et leur offrir des perspectives de
développement professionnel à la fin de leur cursus. Parmi les six recommandations émises, deux idées
sont à signaler : d’une part, « introduire dans l’enseignement supérieur public un co-paiement différencié pour les étudiants hors UE » afin d’accroître les ressources à la disposition des établissements ; d’autre part, « améliorer la portabilité des droits à la retraite (…) et en étendant aux régimes complémentaires la possibilité de se faire rembourser les cotisations pour les mobilités de courte durée ».
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Dans une économie de plus en plus concurrentielle, la capacité d’attirer les talents est l’un des leviers de
la croissance économique. Si la mondialisation des compétences est d’abord un enjeu pour les individus,
elle est également majeure pour les entreprises et les Etats. Bénéficiant d’une tradition d’accueil et d’un
certain prestige académique, la France dispose d’arguments dans la compétition internationale.
Toutefois, l’intensification de la concurrence exige une stratégie globale afin d’assurer aux talents
(français et étrangers) un cadre d’étude et de vie comparable aux meilleurs standards internationaux.
Ceci suppose d’agir sur plusieurs politiques avec, à chaque fois, des questions sensibles (financement de
l’enseignement supérieur, mobilité professionnelle, potentiel de recherche, fiscalité personnelle…).

1 « The Determinants of International Mobility of Students », Beine, Noël et Ragot, Doc. de travail du CEPII, septembre 2013.
2 « Préparer la France à la mobilité internationale croissante des talents », Garcia-Peñalosa et Wasmer, note du CAE n° 31-2016. Nuançant une éventuelle « fuite des cerveaux », l’étude rappelle toutefois la difficulté à mesurer la mobilité des talents.